Je suis tombée enceinte de mon 1e enfant à l'âge de 19 ans sans avoir exactement "programmé" sa naissance : je sortais du lycée, démarrait une vie autonome à Paris et j'étais très attachée affectivement à mon petit ami de l'époque. Il a suffit d'un mois sans pilule pour que je tombe enceinte en 2005. j'ai connu comme bon nombre de filles qui témoignent sur ce site la période de réflexion propre à une grossesse jugée "non désirée" et donc " non désirable".. Je me suis rendue chez un pédiatre qui après examen et entretien m'a clairement déclaré qu'il était impossible, vu ma situation d'étudiante et mon âge, de garder cet enfant. Il n'a lui non plus pas voulu m'accompagner dans la réflexion et s'est très vite braqué. Il m'a signé un papier et donné les coordonnées du planning familial pour subir une IVG.
J'ai été à ce moment-là confronté à la société actuelle qui veut que devenir fille-mère soit une honte et que tomber enceinte jeune représente une menace pour son bon équilibre. Je crois profondément que l'IVG ne rend pas libre, que ce n'est là pas le signe d'une émancipation, mais bel et bien un nouvel esclavage de la femme à des diktats sociaux normatifs et à une morale qui veut placer l'apparence au-dessus de tout. J'ai décidé, grâce au soutien sans faille de ma marraine et de son mari, qui mettaient en jeu leur réputation et allaient m'aider ensuite pendant trois mois en m'hébergeant chez eux pour le cacher à ma famille pétrie de principes, de garder cet inconnu dans mon ventre qui me demandait de bouleverser ma toute jeune vie, tout simplement aussi parce que je ne me faisais pas à l'idée de l'enlever.
Le père, musulman par ailleurs, considérait comme péché l'avortement et me laissait champ libre alors que nous nous étions séparés plusieurs fois auparavant et que nous avons fini par nous séparer ensuite. Cette décision, je l'ai aussi prise seule face à moi-même, sans prévenir mes parents, mes frères, ma soeur, mes amis proches, sans écouter surtout ceux qui pouvaient me donner leur avis. Cette décision n'appartient à personne d'autre qu'à celle chez qui l'être grandit. J'explique tout cela aujourd'hui avec beaucoup de recul mais à ce moment-là, j'étais très paniquée, très angoissée et j'ai vécu cette grossesse difficilement les 5 premiers mois. Et puis, le moment de l'annoncer est arrivé, j'ai préféré attendre les 3 mois qui ne rendait plus possible l'IVG car j'avais pressenti ce qui est arrivé : beaucoup de jugement, des incitations à ne pas garder cet enfant, une gêne colossale face à ma situation et un éloignement.
Je n'ai réussi à me sortir la tête de l'eau que grâce à quelques amies très proches qui m'ont accompagnées et la sérénité d'un lieu de vie partagée avec d'autres jeunes femmes dans des cas parfois bien pires pendant les derniers mois de ma grossesse. Et j'ai eu la joie d'accueillir ma fille en novembre 2005. Depuis, l'avortement est un sujet qui me touche énormément car je ne crois pas que les choses arrivent par hasard et plusieurs jeunes femmes m'ont sollicité lorsqu'elles se sont su enceintes, ou tout simplement pour me confier leur désarroi. AUCUNE ne le regrette pas. Il serait tant que les autorités regardent la réalité...mais ça n'est pas le sujet.
D'abord, j'aimerais dire à toutes ces femmes qui ont avorté qu'elles ne sont pas COUPABLES. Premièrement, parce qu'elles subissent des pressions énormes de la part de la société, des médias, des exigences imposées par notre environnement individualiste et en manque de repères ; que le manque d'information et de soutien, la banalisation de cet acte les rend vulnérables alors qu'elles sont déjà profondément traumatisées par une situation extrêmement compliquée et qu'enfin, le corps médical, pour qui l'avortement est un tabou, quelque chose avec lequel personne n'est en réalité tranquille malgré ce que l'on aimerait croire, n''est souvent pas du tout formé et rend cet acte inhumain parce qu'il est tout bonnement insupportable et ne leur rapporte rien, il faut bien le dire.
La 2e chose que je voudrais dire, pour avoir réfléchi mon histoire et parce que je suis de près un domaine passionnant qui est celui des thérapies familiales est qu'un avortement est rarement un acte isolé au sein d'une famille, c'est-à-dire qu'il peut être la conséquence d'une histoire familiale lourde à porter inconsciemment (un deuil non fait, une maladie cachée, un enfant illégitime) dont ces femmes subiront les effets et qu'il est souvent répété de génération en génération.
Enfin et la chose la plus importante est qu'il faut ensuite COMPRENDRE ce qu'il s'est passé sans culpabiliser et donné du sens et de l'existence à ce petit être qui s'est en allé. Il a été là et il est parti, peut-être pour une raison, peut-être pour venir expliquer quelque chose ou briser une chaîne, et, aussi étrange que cela puisse paraître peut-être pas pour naître. Je recommande à toutes ces femmes de rencontrer la thérapie qui leur conviendra pour démanteler tout cela et permettre à cet enfant de reposer véritablement en paix et par là-même, de leur permettre de revivre. Si elles sont les dernières à poser cette décision, elles n'en sont pas moins influencées consciemment ou non et il n'est jamais trop tard pour guérir, tout le monde a le droit à une seconde chance.
Je suis quant à moi, de tout cœur avec elles et avec leurs enfants...
Bien amicalement...
Camille